Faut-il faire confiance à l’IA ?

Imaginez la scène : vous êtes assis à une terrasse, savourant un café, l’esprit tranquille, et votre collègue lâche, un brin effrayé, qu’il vient de discuter avec une intelligence artificielle.

Le jeu de la poule

Oui, une vraie de vraie, une de ces « intelligences » qui répond, comprend, et semble parfois même avoir de l’humour.

Là, une étincelle d’étonnement traverse l’assemblée. L’IA, on en parle depuis des années, mais pour beaucoup, elle reste une créature un peu floue, quelque part entre la science-fiction et les fantasmes d’ingénieurs en manque de sommeil.

Il y a quelque chose d’irrésistiblement amusant à observer ces premiers instants de stupeur.

Les débutants intimidés commencent souvent par une question posée sans y croire, pour le sport : Connais-tu l’avenir des tomates bio ?» ou encore « Raconte-moi une blague. » Et l’IA répond, avec cette froide assurance qui fait passer le savoir encyclopédique pour une simple formalité. Là, les premiers doutes apparaissent.

« Non mais… tu vois bien que ce truc te parle comme un humain, non ? » murmure quelqu’un, le regard fou, la goutte au front.

Cessez de rire charmante Elvire.

On en rit, mais pour beaucoup, la rencontre avec l’intelligence artificielle a quelque chose d’aussi désarçonnant que le premier coup de fil avec un téléphone portable dans les années 90.

Aujourd’hui, c’est pareil, mais plus feutré : ce n’est plus la voix qu’on hausse, c’est l’esprit critique qu’on hausse ou qu’on baisse au gré des découvertes. Certains se prennent au jeu, tentent des questions étranges, creusent pour voir jusqu’où « elle » ira – car bien sûr, une IA est soudain toujours « elle ».

S’il y a Péché c’est forcément « elle ». Et si cette fois, le péché était original.

D’autres restent en retrait, observant, comme si converser avec un robot allait subitement révéler des secrets de famille ou pire, nous faire questionner nos capacités cognitives : si l’IA peut tout savoir, à quoi je sers, moi ? Mes diplômes, mes croyances, ma sacro-sainte expérience. Hein ! Dites !

Mon anecdote préférée reste celle de ceux qui essayent de mettre à l’épreuve la machine, d’y déceler une limite, un petit grain de sable qui la ferait trébucher. « Fais-moi un poème sur le yaourt à la fraise ! »

Et bien sûr, l’IA s’exécute avec un quatrain qui ferait rougir d’envie un expert en produits laitiers.

La gêne se transforme en éclat de rire un peu nerveux, mais je sens poindre cette étrange impression qu’il se passe quelque chose d’inédit, quelque chose qui nous échappe encore. C’est presque comme si nous étions en train de créer une nouvelle forme de société, où l’humain et l’inhumain se côtoient sans que l’un ne prenne véritablement l’ascendant sur l’autre.

Horreur ! Sacrilège ! Et on entend dans les rues les mêmes anathèmes qu’à l’invention de l’imprimerie. Dieu est mort, l’humanité est perdue, la charrue avant les bœufs. Et chiens crient et une fois de plus, la caravane passe.

Et les questions fusent, un peu éparpillées, comme lorsqu’on cherche désespérément une logique dans un rêve :

l’IA peut-elle aimer ? Peut-elle comprendre ? Laisse-t-elle des miettes sur le canapé comme nous ? Et enfin, la question absolue, celle que même les plus pragmatiques finissent par se poser en chuchotant, à moitié pour eux-mêmes : mais qu’est-ce qu’elle pense de nous, au juste ?